
24 Sep 2015
La valeur ajoutée dans l’industrie, plus que dans tout autre secteur, réside dans l’innovation.
Reste que pour prendre corps, et ne pas en rester au stade du bureau d’études, l’innovation industrielle a besoin de s’appuyer sur des qualifications bien précises.
Innover, en effet, suppose que les industriels peuvent eux-mêmes monter leurs nouvelles machines – un des points forts de l’industrie allemande par exemple. Or, ces qualifications sont particulièrement difficile à recruter, révèle le baromètre Randstad des qualifications en tension.
Selon cette étude, les trois qualifications les plus complexes à pourvoir désignent toutes des métiers indispensables à la production de nouvelles machines.
Laurent Duverger, manager des centres experts chez Randstad, analyse les résultats du baromètre Randstad des qualifications en tension.
Dans son étude sur les qualifications en tension, Randstad constate que sept des dix qualifications les plus pénuriques en 2014 sont des qualifications industrielles. Cela vous surprend-il ?
Non car il existe en France un réel désamour pour les métiers industriels. Ce désamour a plusieurs causes. Il se nourrit en premier lieu de l’image dégradée généralement associée aux métiers manuels, réputés durs, peu valorisants et mal rémunérés. Il pâtit également du discours ambiant sur le déclin de l’industrie, bien souvent ramené à la seule chronique des fermetures d’usine. Dans ce contexte, les filières de formation peinent à attirer les candidats. Ce qui pose un double problème. D’une part, compte tenu de la pyramide des âges, les métiers techniques vont voir davantage de salariés partir à la retraite que de nouvelles arrivées. Il y a donc un risque réel de déperdition de certaines compétences. D’autre part, le secteur est largement tourné vers l’innovation avec, à la clé, l’émergence de nouveaux métiers, comme les stratifieurs-drapeurs par exemple, dont l’apparition est liée à l’essor des matériaux composites. Si personne ne se forme à ces nouveaux, notre industrie sera privée de savoir-faire essentiels à sa future compétitivité.
Pourquoi, concrètement, ces qualifications sont-elles en tension ?
Là aussi, j’identifie plusieurs causes. D’abord, la méconnaissance qui entoure ces qualifications. Chacun se représente très bien un médecin, un avocat, un pompier. Mais combien de parents sont capables d’expliquer à leurs enfants ce que fait un ajusteur monteur ? Très peu. Et de le leur recommander ? Encore moins. Mais on ne peut pas leur en vouloir tant ces métiers souffrent d’un déficit de médiatisation.
Cela est d’autant plus dommageable qu’ils présentent de nombreux atouts : d’abord, et c’est le plus important, ils permettent de décrocher du travail. Ensuite, ils offrent des rémunérations intéressantes – le plus souvent supérieures au Smic – et des possibilités d’évolution verticale et horizontale. Dans le premier cas, un usineur-régleur pourra par exemple devenir formateur ou contrôleur qualité ou technicien méthode tandis que dans le second, il pourra s’orienter vers un poste d’usineur sur prototype ou bien travailler dans des environnements plus exigeants, comme le nucléaire (robinetterie) ou le médical (prothèses de hanche).
Une autre raison derrière le caractère pénurique de ces métiers renvoie à l’inadéquation entre la formation et les besoins du marché. Par exemple, nombre des jeunes qui se forment au métier de stratifieur-drapeur n’apprennent pas l’anglais. Or ce métier, s’il ne nécessite pas d’être bilingue, demande de bonnes compétences.
Autre point enfin, les formations coûtent cher. Les technologies changeant vite, les référentiels de formation comme les machines-outils doivent évoluer en conséquence. Et remplacer une machine-outil devenue obsolète est onéreux. Même chose pour les consommables, que les CFA (centre de formation pour apprentis) ont besoin d’acquérir. Pour apprendre son métier, un futur stratifieur-drapeur a besoin de rouleaux de fibre de carbone. De tels rouleaux coûtent plusieurs milliers d’euros.
Comment redorer l’image de ces métiers ?
Il faut absolument changer leur image et témoigner sur ce qu’est un métier technique industriel dans la France de 2014. Il faut ensuite renforcer les moyens financiers des filières de formation. L’argent reste le nerf de la guerre.
L’industrie est une étiquette très large. Dans quels secteurs industriels retrouve-t-on les qualifications en tension ?
L’ensemble des secteurs sont concernés. Il est vrai, toutefois, que certaines activités sont davantage pénuriques. C’est le cas de l’usinage, avec les fraiseurs et les tourneurs, de l’aéronautique avec les ajusteurs-cellule ou les opérateurs composites, de la métallurgie avec les chaudronniers et les soudeurs, et, enfin, du nucléaire avec les robinetiers ou les mécaniciens sur machine tournante. Cette liste est loin d’être exhaustive.
Quelles conséquences ce phénomène a -t-il sur notre tissu industriel ?
Ce phénomène, le paradoxe des métiers en tension, a évidemment des effets néfastes sur l’emploi en France. Par exemple, une PME qui peine à recruter un usineur-régleur aura du mal à honorer ses délais. Elle risque donc de perdre des commandes et, in fine, de dégrader ses parts de marché. Elle aura au mieux raté l’occasion de créer de l’emploi, au pire elle en aura détruit. Ne pas disposer des compétences industrielles recherchées est aussi un frein aux relocalisations à l’heure où quelques industriels rapatrient dans les pays développés une partie de la chaîne de valeur qu’ils avaient délocalisée soit dans les pays de l’Est, soit en Asie.
Pour ces raisons, il serait tout à fait pertinent que notre pays se donne les moyens humains et financiers pour rouvrir des formations sur les métiers pénuriques de l’industrie. Pour rappel, les jeunes désireux de devenir soudeur ou chaudronnier n’ont d’autre choix que de se tourner vers les entreprises pour apprendre le métier.