
28 Oct 2014
Le salaire minimum a la cote. Du moins à l’étranger.
Aux Etats-Unis, le président américain a relevé de presque 40% le salaire minimum horaire fédéral. Au seul bénéfice, pour le moment, des contractuels de son administration, mais avec l’espoir de l’étendre à l’ensemble des salariés du pays.
Outre-Manche, le salaire minimum devrait être rehaussé de 11%. La plus forte hausse depuis son introduction en 1999.
L’Allemagne, enfin, s’est dotée cet été, et pour la première fois, d’un salaire minimum à l’échelle nationale. D’un montant de 8,50 € de l’heure, il entrera en vigueur le 1er janvier 2015.
La France a quant à elle adopté dès 1950 le principe d’un salaire minimum – le Smig, devenu le Smic en 1970 . Depuis cette date, le Smic n’a eu de cesse d’occuper une place centrale dans le débat politique et économique.
Entre revalorisations légales et « coups de pouce » discrétionnaires, re.sources interroge les effets du Smic sur les salaires.
Le Smic. Quatre lettres familières, souvent d’actualité, mais qui gardent malgré tout leur part de mystère. S’il est permis de penser qu’une majorité de Français ont une idée plus ou moins précise de son montant – 1.445,38 euros bruts mensuels depuis le 1er janvier 2014 –, combien savent que son calcul obéit à des règles bien précises ? Peu, probablement.
Or, le salaire minimum légal est revalorisé chaque année, de façon automatique, sur la base de plusieurs critères. Début 2013, ces critères ont été revus afin, notamment, de « mieux prendre en compte les dépenses de consommation réelles des salariés à faible revenu », avance le ministère du Travail. Concrètement, le Smic reste indexé sur les prix, mais s’appuie désormais sur « l’inflation mesurée pour les ménages […] ayant les revenus les plus faibles ». Auparavant, seuls étaient considérés les « ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé ».
Autre facteur de revalorisation, le salaire horaire ouvrier de base (SHBO) . Outre l’inflation, le Smic était également indexé sur « la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers ». Aujourd’hui, le calcul intègre aux côtés des ouvriers les employés, nombre d’entre eux étant à leur tour rémunérés à des niveaux proches du Smic.
Troisième et dernier critère, le « coup de pouce ». Chaque gouvernement peut, s’il le souhaite, augmenter le Smic en cours d’année. Le dernier coup de pouce remonte ainsi à l’été 2012, lorsque les salariés payés au Smic, en plus de la hausse légale, avaient vu leur fiche de paie augmenter de 0,6 %.
La conjonction de ces trois facteurs alimente une progression répétée, et plus ou moins importante selon les années, du salaire minimum. Résultat, dans une étude conduite par les économistes Gilbert Cette, Valérie Chouard et Grégory Verdugo, intitulée « Les effets des hausses du Smic sur le salaire moyen » , les auteurs relèvent que « l’impact sur le salaire moyen des revalorisations du Smic est fort ».
Ce constat cristallise les critiques dont fait régulièrement l’objet le salaire minimum. Alors que le Smic français est l’un des plus élevés d’Europe, il constituerait selon certains experts un des facteurs expliquant la dégradation de la compétitivité de l’économie hexagonale. Dans un récent rapport sur la France, l’OCDE notait que le coût élevé du salaire minimum contribuait à pénaliser « fortement les salariés à faible productivité et peu qualifiés en réduisant leur employabilité » et limitait en outre « la compétitivité-prix des entreprises françaises ». Ces arguments servent de toile de fond aux propositions, portées encore récemment par l’ancien patron de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, ou le MEDEF, visant à créer un Smic dérogatoire, moins élevé que le salaire minimum légal, à l’attention des jeunes notamment.
Mais d’autres voix tendent à nuancer ce constat, voire font entendre un autre son de cloche. Vecteur de cohésion sociale pour les uns, le Smic n’aurait pour d’autres – l’OFCE par exemple – que peu d’effets sur l’emploi, en raison notamment des importants allègements de cotisations sociales dont bénéficient les employeurs au niveau du Smic.
Reste que le salaire minimum, du fait de son évolution, exerce une force centrifuge sur les salaires proches du Smic, accréditant ainsi l’image de « trappe à bas salaires » qui lui est associée. L’étude de G. Cette, V. Chouard et G. Verdugo, déjà citée, rappelle à cet égard que, de 1970 à 2010, « l’augmentation nominale du Smic a été d’environ 7,2 % par an », soit « une progression plus forte que toutes les autres mesures habituelles du salaire moyen ». Avec, comme conséquence directe, « un resserrement de la dispersion des salaires », une caractéristique « assez spécifique à la France », selon les auteurs.
Les résultats du baromètre Randstad des salaires non cadres semblent conforter cette tendance. Alors que le Smic a progressé de 1,05 % en 2014, les salaires des non cadres, soit quelque 18,8 millions de personnes, ont augmenté en moyenne de 1,25 % sur la même période, selon l’étude. Cette hausse s’inscrit à la fois dans le sillage du salaire minimum tout en concernant bien plus de personnes que les deux millions de salariés rémunérés au Smic.
L’impact du Smic sur les salaires qui lui sont proches ressort avec d’autant plus de clarté que l’on distingue les statuts. Ainsi, professions intermédiaires mises à part, les salaires moyens des ouvriers non qualifiés, des ouvriers qualifiés et des employé progressent en 2014 dans une fourchette comprise entre + 1,22 % et + 1,36 % sur un an. Soit à des niveaux extrêmement proches des 1,25 % de la revalorisation du Smic.
La hausse de salaire des professions intermédiaires – qui parmi les non cadres bénéficient des salaires les plus élevés – à + 0,88 % apparaît en revanche davantage décorrélée de la progression du Smic. Quant aux cadres, dont les salaires sont en moyenne très éloignés du Smic, l’évolution de leur rémunération telle que présentée dans la dataviz fait ressortir un impact nul ou quasi nul du Smic. Le signe, entre autres, que le salaire des cadres évolue en fonction d’autres paramètres – individualisation croissante, plus grande prise en compte de la compétence, etc.
Autre effet du salaire minimum mis en exergue dans l’étude Randstad, les salaires non cadres sont fortement concentrés autour du Smic. Résultats à l´appui, le salaire moyen d’un non cadre, à 1.541 € bruts, est supérieur de 6,6 % au Smic. Et les salaires des ouvriers (non qualifiés et qualifiés) et des employés au premier semestre 2014 représentent de 104,5 % (1.510 € bruts pour les ouvriers non qualifiés) à 107,9 % du salaire minimum (1.559 € bruts pour les ouvriers qualifiés). Ainsi, 12,6 millions de salariés en France, soit deux tiers des salariés, ont un niveau de salaire compris entre + 4,5 % et + 7,9 % au-dessus du Smic. Pareille proportion invite à faire sienne la conclusion de G. Cette, V. Chouard et G. Verdugo, qui estiment que leur étude confirme «la place importante en France du salaire minimum sur l’équilibre du marché du travail ».
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[1] Smig : salaire minimum interprofessionnel garanti. Smic : salaire minimum interprofessionnel de croissance.
[2] Le SHBO correspond au salaire horaire brut de base, avant déduction des cotisations sociales et avant versement de prestations sociales dont les salariés pourraient bénéficier, pour la population des ouvriers.
[3] Etude publiée en 2011 dans la revue de l’Insee Economie et Statistique.
[4] Catégorie hétérogène, les non cadres regroupent les ouvriers qualifiés et non qualifiés, les employés et les professions intermédiaires. Soit, au total, 18,8 millions de salariés, représentant 82 % de la population active salariée.