
10 Fév 2021
« Follow me », « like mon post », « envoie-moi un DM ». Si les réseaux sociaux et leur langage ont envahi la sphère privée, ils ont aussi trouvé leur place en interne dans les entreprises. Et pour cause : ce canal de communication dénote des supports traditionnels et permet une plus grande responsabilisation et autonomie des collaborateurs.
La Poste, Celio, Orange ou encore la SNCF… Toutes les grandes entreprises françaises possèdent aujourd’hui d’importants réseaux sociaux sur des plateformes comme Yammer, Workplace ou encore Talkspirit. Avec plusieurs objectifs en tête. « D’abord, elles souhaitent faire travailler et cohabiter les équipes d’un bout à l’autre de la planète dans un espace dédié », souligne Yann-Maël Larher, avocat associé fondateur, spécialisé dans le Numérique et le Juridique, chez Legal Brain Avocats. Avec un réseau social interne, les salariés s’inscrivent, renseignent un profil, si ce n’est pas déjà fait par l’entreprise, et possèdent ainsi un mur sur lequel ils peuvent publier, mais surtout suivre l’actualité de l’entreprise et des autres collaborateurs.
L’idée est de rendre le travail plus collaboratif et la communication intra entreprise plus fluide. « Dans une entreprise comme La Poste, encore très silotée et avec des métiers très différents, notre objectif était de fluidifier le partage d’informations et de faciliter l’intelligence collective », complète Nathalie Brousset, Directrice de la Transformation Internet du groupe La Poste.
Éviter la déperdition d’information
Nous souhaitons donner la possibilité aux équipes d’agir et de communiquer directement.
Aline Pihier, Directrice de la Communication et de l’Engagement solidaire chez Celio
La problématique était encore différente chez Celio ou au sein du groupe Randstad France, deux groupes aux nombreuses marques et aux réseaux très segmentés. « Dans le cadre de notre plan de transformation, nous souhaitions développer la transversalité entre les équipes et leur donner la possibilité d’agir et de communiquer directement » explique Aline Pihier, Directrice de la Communication et de l’Engagement solidaire chez Celio.
Avant la mise en place d’un réseau social interne, la direction communiquait avec les équipes en magasin notamment via email sur les boites mail des magasins, consultées principalement par les directeurs des magasins, ce qui impliquait que ces derniers retransmettent ces informations à leurs collaborateurs. « Or, l’activité en magasin est telle que ce n’était pas toujours évident pour eux. Ce qui pouvait générer de la déperdition d’information. Elle a disparu grâce au réseau social, qui permet ainsi à l’ensemble des collaborateurs de participer aux échanges », assure Aline Pihier.
Yannick Chatelain voit en cela un vrai bénéfice du réseau social d’entreprise. « L’information doit être agile et distribuée dans des délais rapides. Le réseau social d’entreprise permet une diminution de l’usage des mails et a vocation à atténuer le poids de la hiérarchie », assure le professeur associé en marketing digital chez Grenoble École de Management et spécialiste des nouvelles technologies.
L’objectif était de donner plus d’autonomie aux collaborateurs dans leur prise de parole.
Eberlyn Joseph, responsable de la communication interne Groupe Randstad France
Du côté du groupe Randstad France, le réseau social #TeamRandstad, lancé en avril 2020, « constitue un espace où tous les collaborateurs, toutes entités confondues, peuvent se réunir et échanger en temps réel sur leur quotidien », précise Eberlyn Joseph, responsable de la communication interne, à l’initiative de ce réseau social d’entreprise. L’objectif était de donner plus d’autonomie aux collaborateurs dans leur prise de parole. Sur ce réseau ils partagent succès, conseils, idées, humeurs, ils s’encouragent, s’entraident et se stimulent. ».
Créer un esprit d’appartenance fort
L’un des autres objectifs des entreprises est plus ténu, selon Yann-Maël Larher. « Les entreprises se lancent de plus en plus dans l’usage des réseaux sociaux d’entreprise, car de nombreux collaborateurs utilisent les réseaux grand public pour échanger sur la vie de la société, affirme le juriste. Ce déportement de l’information qui devrait rester dans l’entreprise présente des risques pour la sécurité et la confidentialité des informations de la structure. Les entreprises ont tout intérêt à s’organiser pour éviter les problèmes en la matière. »
Le réseau social permet de créer un esprit d’appartenance.
Yann Maël Larher, avocat chez Legal Brain Avocats
En optant pour un réseau social, les entreprises bénéficient d’une meilleure diffusion et circulation de l’information, d’une gestion documentaire optimale et d’échanges de bonnes pratiques essentiels à la vie de la structure. « Le réseau social permet de créer un esprit d’appartenance, de nouveaux collectifs sur des sujets et désencombre les boites mail de messages informatifs », souligne Yann Maël Larher. « Le réseau social permet de connaître son organisation mieux qu’on ne l’a jamais connue en mettant des noms et des visages sur des collaborateurs qu’on ne connaissait pas vraiment », complète Yannick Chatelain.
Fédérer dans un espace commun
Reste que sa mise en place doit être réfléchie en amont. « Comme tout outil de communication, s’il ne répond pas à un besoin, c’est qu’il n’est pas utile, précise Frédéric Fougerat, Directeur de la communication et RSE de Foncia. En communication, il faut toujours penser contenu en premier, et non outil. L’outil n’est que le moyen par lequel on partage un contenu. » Selon lui, les éventuels échecs des réseaux sociaux d’entreprise tiennent à trois raisons : le créer pour une mauvaise raison, ne pas l’animer et ne pas apprendre aux collaborateurs à l’utiliser, et choisir un outil qui ne ressemble en rien à ce qui existe déjà.
C’est dans cette optique que le groupe La Poste a choisi de déployer son réseau social Yammer au moment où il a équipé les collaborateurs d’Office 365 afin de faciliter la coopération et le travail de chacun. « Un réseau social tout seul, à part, aurait eu moins de sens », assure Nathalie Brousset.
A l’ère de l’infobésité, il faut chercher la simplicité et l’efficacité
Frédéric Fougerat, Directeur de la communication et RSE chez Foncia
Chez Foncia, Frédéric Fougerat a veillé à ce que les outils ne soient pas doublés pour un même usage. Une démarche qui évite ainsi de surcharger les collaborateurs de messages identiques sur plusieurs supports. « À l’ère de l’infobésité, il faut chercher la simplicité et l’efficacité, précise-t-il. Notre réseau social est devenu l’outil de communication, d’échanges et de partages qui nous manquait. »
Booster la culture d’entreprise
Le groupe Randstad France fait figure d’exception en matière de timing de lancement de son réseau social. Et pour cause : après une période de réflexion et de consultations menées auprès de collaborateurs, le groupe l’a lancé au début du premier confinement. « #TeamRandstad est né à un moment particulier de la vie de l’entreprise et a permis de renforcer le lien entre les collaborateurs malgré le recours au télétravail et à l’activité partielle précise Eberlyn Joseph. Il a fédéré tout le monde autour d’un espace d’expression commun. » Une stratégie saluée par the Institute of Internal Communication en 2020.
Chaque entreprise a d’ailleurs exploité les réseaux sociaux durant cette période pour conserver le lien entre les collaborateurs. Celio a par exemple ouvert un groupe spécifique pour partager des astuces feel good, pour rendre la période moins difficile et un autre groupe plus ludique pour échanger des anecdotes plus personnelles, tout en restant professionnel. « Durant cette période, ceux qui n’avaient pas adhéré à Workplace s’y sont mis, constate Aline Pihier. Au total, l’entreprise compte plus de 80% de taux d’activation en magasin et 98% dans les équipes corporate. »
Les collaborateurs découvrent l’intérêt du réseau social interne au travers du lien social.
Yannick Chatelain, professeur associé en marketing digital chez Grenoble Ecole Management
Rien de surprenant pour Yannick Chatelain qui estime que la crise Covid a permis de lever certains freins. « Les collaborateurs qui n’en voyaient pas l’utilité en découvrent l’intérêt au travers du lien social. La nécessité d’interagir constitue un élément moteur et déterminant qui va booster les adhésions et les utilisations des derniers récalcitrants au réseau social. »
Dans chaque entreprise, le réseau social a rendu les salariés plus autonomes et plus impliqués dans le groupe. Pour certaines, il a permis de gommer la verticalité avec un management plus transversal et favoriser l’agilité et l’innovation. Globalement, il permet de booster la culture d’entreprise et la cohésion entre les collaborateurs, peu importe son mode de fonctionnement.
La frontière vie privée / vie professionnelle en débat
La Banque Postale a décidé par exemple d’investir Yammer, le réseau social du groupe La Poste auquel elle appartient, comme un média interne et propose une vraie stratégie éditoriale pour les collaborateurs afin de partager ses axes stratégiques et des événements en direct. Celio, pour sa part, a créé des groupes dits annonces pour communiquer avec les collaborateurs des informations du groupe et d’autres communautés dites projets ou équipes permettant de communiquer par petits groupes.
« Dans notre stratégie, nous voulons que notre réseau social conserve son approche professionnelle et qu’il ne devienne pas un lieu uniquement pour échanger sur des aspects personnels, même si les touches d’humour restent les bienvenues : être sérieux sans se prendre au sérieux ! », précise Aline Pihier. Au sein du groupe Randstad France, des challenges sont régulièrement lancés sur des thématiques professionnelles, mais certains d’entre eux permettent aussi aux collaborateurs de partager des éléments de leur vie personnelle.
Face à ce dilemme du contenu, Yannick Chatelain prône pour la mise en place de chartes sur les réseaux sociaux d’entreprise. Un moyen selon lui « d’éviter tout débat polémique et de bien le structurer pour éviter le mélange entre vie privée et vie professionnelle. »