
04 Déc 2017
Travailler avec des acheteurs américains installés au Japon, signer un partenariat en Afrique avec une entreprise russe ou encore recruter au Brésil et gérer des équipes internationales…Autant d’activités au coeur des entreprises d’aujourd’hui. Avec l’intensification des échanges et la mondialisation, renforcées par l’essor du numérique, elles doivent s’adapter et apprivoiser le management interculturel. Le Professeur Marion Festing, directrice académique du Centre d’excellence du management interculturel et responsable de la chaire management des ressources humaines et leadership interculturel de ESCP Europe, nous éclaire sur ce concept essentiel pour échapper aux crises et aux malentendus dans le business.
Comment définissez-vous le management interculturel ?
De nos jours, beaucoup d’entreprises sont tournées vers l’international. Les groupes finissent par intégrer des salariés venant de pays différents ou par conclure des accords avec des partenaires étrangers. Dans ce contexte, l’entreprise, dans toutes ses interactions, doit être en mesure de travailler et de collaborer avec des personnes de nationalités diverses.
Le management interculturel oblige à percevoir et connaître les codes et habitudes d’un client, d’un salarié ou d’un fournisseur étranger, et comprendre les raisons des différences qui existent dans le milieu des affaires entre pays. Avec pour objectif de dissiper tout malentendu ou incertitude. L’entreprise doit par exemple pouvoir identifier les normes locales, analyser le rapport à la hiérarchie dans tel ou tel pays, ou encore s’adapter aux valeurs du client ou du partenaire. D’ailleurs, cette compétence interculturelle aide aussi à mieux comprendre et manager d’autres facettes de la diversité, par exemple la collaboration entre hommes et femmes ou les relations intergénérationnelles.
En quoi cette notion est-elle importante de nos jours dans le monde de l’entreprise ?
Du fait de la globalisation. Tous les business sont interdépendants et cela ne fait qu’augmenter avec la digitalisation et le développement d’outils de plus en plus poussés technologiquement. On pourrait croire que le monde virtuel simplifie les relations, mais ce n’est pas aussi simple. Par exemple, lorsqu’on écrit un email, il existe des codes différents entre les cultures. Et comme on n’a pas la personne en face de nous au moment de l’envoyer, nous n’avons aucun moyen de maîtriser la réception du message ou de rattraper un potentiel malentendu. D’où l’intérêt de connaître les codes de son partenaire.
Comment apprend-on les relations interculturelles ?
Cela commence dès l’enfance à travers des expériences à l’étranger en tant qu’enfant ou étudiant. À l’ESCP Europe, nous avons mené une étude sur le sujet avec nos alumni et il en ressort que plus un élève s’expose à l’international et au multiculturel, grâce entre autres à ses études de business internationales, plus sa carrière sera réussie.
Dans les entreprises, le management interculturel s’apprend à la fois grâce à des formations, mais également au quotidien. Les salariés et dirigeants doivent être capable de comprendre les trois dimensions des relations interculturelles: le cognitif (quelles sont les différences entre les cultures), l’affectif (apprécier les atouts du travail avec d’autres nationalités) et le comportemental (savoir concrètement ce qu’il faut faire ou ne pas faire face à un partenaire étranger). L’entreprise dans sa globalité doit être capable de collecter de l’information culturelle utile à son activité avant de développer celle-ci. Ainsi, elle saura ajuster son message et son action face à son partenaire ou potentiel client.
Que cherchent justement les entreprises qui viennent vous voir ?
Essentiellement, un mode d’emploi. Selon leur activité et les marchés qu’elles visent, elles vont vouloir avoir des informations par exemple sur les relations interculturelles entre l’Allemagne et la France ou pour réussir leur business en Chine, en Inde ou dans d’autres pays. Elles veulent savoir tout ce qu’il faut faire pour ne pas passer à côté d’un marché. Mais notre rôle va bien au-delà. Nous accompagnons aussi l’intégration de cette compétence interculturelle dans le savoir-faire du management international, c’est-à-dire comment développer des stratégies pour des marchés internationaux, comment monter une fusion de deux entreprises de nationalité différentes ou comment mener des équipes interculturelles.
Est-il plus difficile d’appréhender les relations interculturelles avec des pays éloignés géographiquement ?
Il est évident que la distance culturelle pèse. Plus elle est grande, plus l’interaction est complexe. Aujourd’hui, les entreprises occidentales cherchent à multiplier les activités économiques dans les pays émergents et essaient de comprendre les codes des partenaires russes ou brésiliens par exemple. Mais la distance géographique n’est pas un critère suffisant. Par exemple, il existe de vraies différences de communication entre la France et l’Allemagne, deux pays pourtant très proches géographiquement. C’est d’ailleurs une force de l’Europe : la multiplicité des pays qui la compose et son histoire font qu’on a appris depuis longtemps à gérer les différentes cultures.
Si une entreprise ne s’intéresse pas à ces questions, quels sont les risques ?
Rien qu’en termes de communication, cela peut poser de vrais problèmes, d’abord entre la maison-mère et ses filiales dans les différents pays ou avec de potentiels partenaires étrangers. Mais au sein même d’une équipe, qui compte de plus en plus des profils internationaux, cela peut entraîner de vraies incompréhensions. De même, en stratégie marketing, si une entreprise ne comprend pas les valeurs importantes d’un marché étranger, elle ne saura pas quels sont les messages à faire passer ou comment se comporter sur place. Ce qui peut générer des conflits voire l’échec d’un business. En Chine par exemple, il faut savoir que les relations interpersonnelles sont essentielles et fondamentales avant toute signature de contrat. Si on ne le sait pas, on risque de ne jamais signer de contrat avec un partenaire chinois.