« Il faut redonner au salarié le sens plus global de son travail »

Portrait
Marie Robert
Philosophe

A l’heure où la crise de la Covid-19 modifie durablement le monde du travail, comment conserver la motivation de ses salariés ? Marie Robert, philosophe, auteure et créatrice du podcast « Philosophy is sexy », explique en quoi la quête de sens au travail mérite d’être bien définie et verbalisée dans les entreprises. Au risque, sinon, d’une fragilisation inéluctable du monde du travail.

Que recouvre la motivation au travail ?

Aujourd’hui, on assiste à une vraie transformation du travail et de la motivation en entreprise. Quelle que soit la personne, c’est la quête de sens qui est primordiale, quand le salaire, le prestige du poste ou les horaires étaient plus importantes il y a encore une dizaine d’années.

Mais qu’est-ce qu’avoir du sens ?

C’est toute la question et il faut s’en méfier. D’ailleurs, on remarque que personne ne le formule de la même manière. « Donner du sens à mon travail », « avoir un travail qui a du sens », « trouver du sens à ma mission ». La notion est floue et c’est ce qui est dangereux, car si on ne comprend pas ce que cela signifie vraiment, concrètement, il y a un fort risque de démotivation.

Comment le définir alors, ce sens ?

On peut le débroussailler avec plusieurs critères. D’abord, il faut se dire que chaque tâche qu’on effectue a du sens : un mail à envoyer, la comptabilité à effectuer ou encore l’organisation d’un planning. Chaque micro-action a un sens global dans un but collectif.

Le manque de motivation vient souvent au moment où le salarié ne comprend plus pourquoi il est là.

Or, chaque entreprise dans chaque secteur participe à un tout collectif. Si par exemple des collaborateurs d’un service financier ont l’impression de seulement mettre des chiffres dans des cases, il est important que l’entreprise leur rappelle qu’ils le font pour permettre la construction d’un pont en Afrique ou pour une mission plus globale.

Les entreprises doivent être plus pédagogues d’après vous ?

Bien sûr. C’est un deuxième critère. Le sens ne constitue pas un état de grâce qui nous tombe dessus un beau jour. Le sens doit être verbalisé par l’entreprise, qui oublie beaucoup de le faire. Rappeler quelle est la mission, pourquoi on est là. L’entreprise doit avoir une forme de fierté qui se partage, qui se verbalise et faire comprendre aux collaborateurs qu’ils apportent quelque chose à la société. Il n’y a pas que les missions humanitaires qui font changer le monde.

Et puis, il faut accepter que le sens du travail ne vienne pas forcément tout de suite au début d’une carrière. Il vaudrait mieux parler d’expérience. Une expérience en début de carrière peut paraître insurmontable, difficile, mais elle peut être motivante pour la suite. On doit se dire que chaque jour est une expérience, positive ou négative, et ainsi revaloriser l’expérience.

Pourquoi a-t-on tant besoin de motivation ?

Pour trouver notre place dans le monde. C’est une crise métaphysique. Si jusqu’ici on avait beaucoup interrogé les modèles familiaux par exemple, c’est au tour du travail. « Qu’est-ce que je fais là ? ». La question est d’autant plus vertigineuse en ce temps de crise profonde.

En quoi cette crise impacte-t-elle la motivation au travail ?

La question du télétravail l’interroge profondément. Le 100% télétravail vient sur le long terme effacer la visibilité, l’échange et la créativité.

Quand plus rien n’existe de concret, que tout est virtuel, la démotivation est forte.

Dans la motivation, il ne faut pas oublier l’importance de la confrontation et le télétravail à 100% vient la tuer. Les entreprises ont tout intérêt à favoriser ces moments d’échange, quitte à faire du présentiel uniquement pour des rendez-vous informels, pour continuer à créer du lien au-delà des réunions Zoom. Car le risque est dévorant de perdre son identité professionnelle.

Comment les managers peuvent-ils faire renaître la motivation chez les collaborateurs qui la perdent ?

Il faut mettre les mains dans le cambouis. Foncer. Il faut aborder la question avec chaque salarié, sans tomber dans une psychanalyse mais le questionner, lui redire quelle est sa place, en quoi elle est essentielle pour l’entreprise, savoir s’il a bien compris pourquoi il était là. Sinon, on risque de perdre des dynamiques entières d’entreprise et de se retrouver dans un monde du travail très fragilisé.

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