
02 Sep 2021
Près de 150 entreprises ont opté pour le statut d’entreprise à mission depuis fin 2019. Alors que le dossier Danone a remis en cause ce modèle, des dirigeant(e)s s’expriment pour expliquer pourquoi l’entreprise à mission deviendra à l’avenir un incontournable.
En mai 2020, Danone fut la première entreprise du CAC40 à se doter du statut d’entreprise à mission, avec 99% de votes favorables de la part des actionnaires. Moins d’un an plus tard, le géant de l’agroalimentaire se trouve en pleine crise, avec le départ de son PDG, Emmanuel Faber, réclamé par des fonds activistes entrés récemment au capital. Ils reprochaient à l’emblématique patron une trop faible performance en bourse.
Cette crise pose la question de la compatibilité de deux valeurs que l’entreprise se doit aujourd’hui de créer, économique et financière d’un côté, écologique et humaine de l’autre. Comme Danone, près de 150 entreprises ont aujourd’hui (ou sont en train) endossé le statut d’entreprise à mission. Avec la conviction qu’il est possible de trouver un équilibre entre ces deux valeurs, comme la nouvelle version de l’article 1833 du Code Civil le laisse entendre, au regard de l’évolution de la société et des besoins sociétaux et environnementaux.
« Projeter le service public dans un monde moderne »
C’est le cas de La Poste par exemple. L’entreprise vient de faire valider ce statut par ses instances internes. L’aboutissement d’une réflexion menée depuis la mission Sénard-Notat en 2018. « La Poste devient la première entreprise publique à intégrer le statut », souligne Muriel Barnéoud, Directrice de l’Engagement sociétal du Groupe La Poste.
Et c’est tout logiquement qu’elle s’est tournée vers l’entreprise à mission. « Il est tout à fait naturel pour une entreprise comme La Poste, portée par le service public depuis plus de 500 ans, de passer au statut d’entreprise à mission. »
Définir une raison d’être et revendiquer une responsabilité de l’entreprise fait partie de l’ADN du groupe La Poste. « Nous trouvons dans ce statut une belle manière de projeter le service public dans un monde moderne, complète Muriel Barnéoud. La raison d’être repose sur ce qu’il est important pour une entreprise de préserver pour l’avenir, pour se projeter dans le monde de demain. À la Poste, elle s’appuie sur 500 ans d’histoire, de souci de l’intérêt général, du bien commun, du progrès au service de l’homme ».
Un travail de concertation avec toutes les parties prenantes
La Directrice de l’Engagement Sociétal de La Poste assure que toutes les parties prenantes « montrent un réel intérêt pour savoir à quoi La Poste s’engage » à travers ce dispositif d’entreprise à mission. Pour elle, « loin d’être une formalité, il constitue un vrai enjeu en termes de réputation ».
Si le sujet de l’engagement pénal reste flou dans le statut d’entreprise à mission, des entreprises, comme La Poste, peuvent compter sur des réseaux, comme la Communauté des entreprises à mission, et les conseils des entreprises qui se sont déjà lancées dans l’aventure. « Devenir société à mission constitue un vrai chemin de concertation avec les collaborateurs, les actionnaires et les partenaires, qui nécessite discussion et temps, souligne Anne Mollet, à la tête de la Communauté. Il n’existe pas d’entreprise responsable sans actionnaire responsable, c’est un gage de pérennité aujourd’hui ».
Un vrai engagement de la part de l’entreprise
OpenClassrooms, plateforme leader de cours en ligne, a été créée dans l’esprit de générer un impact positif sur la société dès son origine. Pour autant, « nous avons inscrit notre mission et notre raison d’être dans nos statuts pour faire en sorte que toutes les parties prenantes soient alignées autour de ces objectifs », assure Pierre Dubuc, co-fondateur et CEO du groupe.
Pour lui, ce statut d’entreprise à mission permet à certains groupes de poser clairement leurs objectifs et leurs missions. « Définir la raison d’être constitue une première étape, qui peut être perçue comme parfois trop superficielle, assure-t-il. Mais basculer en entreprise à mission ne peut pas se résumer à un argument de communication puisque le processus de création et d’audit est profond et demande un vrai engagement de la part de l’entreprise ».
Un engagement qui fait la différence
Un vrai engagement vérifié dans le temps par un comité de mission chargé d’établir un rapport et par un suivi par un organisme tiers indépendant. Ces suivis et contrôles permettent de faire évoluer l’entreprise. « Le comité de mission nous a été utile sur la stratégie de l’entreprise, par exemple, en nous conduisant à mieux définir nos cinq populations cibles et en nous fixant quatre axes d’amélioration », explique Pierre Dubuc.
Pour OpenClassrooms, disposer du statut d’entreprise à mission représente un avantage réel en matière commerciale. « Nos clients sont éduqués et sensibilisés à l’importance de recourir à des entreprises engagées socialement et sur le plan environnemental, explique le CEO du groupe qui détient également la certification B Corp. C’est un vrai gage de qualité et cela fait la différence à prestataire équivalent ».
Un modèle incontournable à l’avenir
Dans le domaine des services aussi, le cabinet Huglo Lepage Avocats n’a pas hésité longtemps avant de participer à ce modèle. Et pour cause : le cabinet a fait du sens des responsabilités face aux grands défis contemporains sa ligne de conduite. Déontologie, éthique, transition écologique font partie de son ADN. « La conception même de notre cabinet s’intègre à l’idée d’entreprise à mission, puisque nous cherchons à faire progresser le droit, comme nous l’avons montré dans le premier procès de justice climatique avec le dossier de Grande-Synthe et dans toutes nos affaires », précise Corinne Lepage, Avocate associée fondatrice.
Pour elle, l’entreprise à mission « représente le modèle d’avenir, car les gens le demandent, ça devient une évidence, un gage de qualité et de sécurité ». L’ancienne ministre de l’Environnement estime qu’une vraie progression de ce statut est à prévoir dans les prochains mois. Et ce, « malgré les difficultés pour les petites structures à mettre en place les comités nécessaires et pour les grandes entreprises gérées par des fonds à avoir une vision sur le long terme ». La crise Covid étant passée par là, de nombreuses entreprises sont entrées dans une logique de « réinvention », selon elle, « avec pour objectif de mieux cerner les problématiques des citoyens et leurs intérêts ».
Un avis partagé avec Pierre Dubuc, qui estime pour sa part « qu’être une société à mission deviendra progressivement une nécessité comme aujourd’hui le fait d’avoir une stratégie RSE dans un grand groupe ».